EXPOSITION TOP SECRET A LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE
L’exposition Top Secret explore les relations imbriquées entre espionnage et cinéma, rendant compte de l’étendue et de la vitalité d’un sujet qui se déploie autant dans une histoire que dans une géographie mondiale. L’épicentre des intrigues d’espionnage ne cesse d’être déplacé et reconfiguré, des villes divisées d’Europe (La Lettre du Kremlin, John Huston, 1970) au Moyen-Orient (la série du Bureau des légendes, créée par Eric Rochant), mettant aujourd’hui en avant des stratégies renouvelées du renseignement, caractéristiques du monde sécuritaire post 11-Septembre, dont l’impact sur la mise en scène génère de nouveaux codes, de nouveaux visages.
Top secret : cinéma et espionnage – La Cinémathèque française
Résistant aux stéréotypes, l’exposition Top Secret déconstruit la représentation sexiste des espionnes, longtemps reléguées à la seule pratique du « Piège à miel », et rétablit leur apport stratégique considérable, ce à quoi le cinéma a su précocement rendre justice. De Protéa, férue de Jiu-Jitsu et première espionne de l’histoire du cinéma (1913), à Mata Hari, fusillée pour intelligence avec l’ennemi allemand (interprétée dès 1931 par Greta Garbo, plus tard immortalisée dans ce rôle par Andy Warhol), le cinéma s’est intéressé, dès ses origines, aux figures de femmes agents secrets : Marthe Richard ou Mademoiselle Docteur sont des héroïnes dont les aventures sur grand écran reposent sur des faits réels, tandis qu’Alicia Huberman (interprétée par Ingrid Bergman) dans Les Enchaînés (1946) incarne, devant la caméra d’Alfred Hitchcock (le maître incontesté en dix films majeurs du cinéma d’espionnage), un fantasme fictionnel de femme infiltrée et courageuse. Par ailleurs, de nombreuses stars ont véritablement profité de leur notoriété pour s’engager par patriotisme au sein des services de renseignement : Marlene Dietrich, l’Agent X27 de Josef von Sternberg (1931), a espionné quelques dignitaires nazis pour le compte de l’Office of Strategic Services (OSS) américain. Les risques pris par ces actrices (comme Hedy Lamarr, à l’origine du futur GPS, et dont l’artiste Nina Childress a exploré en sculpture les multiples facettes) permettent de réévaluer l’importance des femmes dans l’art du renseignement et témoignent, par comparaison, de la manière dont certains ont longtemps déformé cet engagement, en privilégiant l’hypersexualisation du sexpionnage.
L’espionnage n’est donc pas plus réductible à un genre, qu’il ne l’est à un médium artistique : cherchant toujours à se réinventer, il passe de la littérature au cinéma (de nombreux films montrés dans l’exposition sont des adaptations de livres de Ian Fleming, Graham Greene ou Tom Clancy), et du design à l’art contemporain. L’exposition orchestre ainsi des propositions visuelles, ludiques ou parfois volontairement dérangeantes, du Canadien Rodney Graham, de l’Ukrainien Boris Mikhaïlov, du Français Julien Prévieux, du Serbe Nemanja Nikolič, du Libanais Walid Raad (The Atlas Group), ou de l’Américaine Heather Dewey-Hagborg, qui interrogent par leurs œuvres d’art la cryptologie, le simulacre, voire le lavage de cerveau. Autant de thèmes mystérieux et fascinants qui font de l’espion le personnage romanesque par excellence, réceptacle des fantasmes des cinéastes. Capable de glisser d’une identité à l’autre, l’espion ne cesse de se dissimuler et de se grimer tel un acteur, aux talents hors normes. Tantôt invincible, tantôt torturé, il hante autant le cinéma d’auteur (Conversation secrète, Francis F. Coppola, Palme d’or en 1974) que le cinéma de série B (Un espion de trop, Don Siegel, 1977) ; les comédies humoristiques (Modesty Blaise, Joseph Losey, 1966) que les thrillers engagés (Espions sur la Tamise, Fritz Lang, 1944). Son aura populaire culmine dans les années 1960, quand les tensions de la Guerre froide (cette guerre mondiale secrète) sont au plus haut. À l’opposition diplomatique entre les deux blocs, le cinéma d’espionnage occidental répond par une propagande qui n’hésite pas à vanter la liberté individuelle et l’opulence des biens de consommation. Ex-espion au sein du MI6 britannique, devenu célèbre écrivain, John le Carré n’hésite cependant pas à démontrer que ce manichéisme sommaire traduit en profondeur l’interdépendance entre espion et espionné, entre Ouest et Est, rejouant ici la dialectique du maître et de l’esclave. Situant ses intrigues des deux côtés du Mur, l’écrivain s’est toujours documenté avec précision sur les Sûretés d’État communistes, avant de les réinventer dans la fiction. Ainsi imagina-t-il dans La Taupe (publié en 1974 et adapté au cinéma par Tomas Alfredson en 2011) l’agent soviétique Karla, sur le modèle de l’implacable Markus Wolf, directeur des renseignements extérieurs de la Stasi. L’une des particularités de la Guerre froide est ce dialogue incessant, par fictions interposées, entre Est et Ouest qui en venaient à s’instruire, grâce aux films, sur l’état d’esprit et les avancées technologiques du camp ennemi.